Edith Louthe répond à nos questions -- Agnès Schrevens

Comment avez vous connu MUSIQUE ESPERANCE en quelle année, et quelle a été l’étincelle qui a déclenché votre implication dans cette mouvance ?

Avant de répondre à votre question, je dirai qu’il me paraît un peu surréaliste d’être interviewée pour le MUSINFO alors que depuis tant d’années j’étais chargée personnellement d’aller “soumettre à la question” des personnalités autrement plus importantes et prestigieuses que moi !

J’ai réalisé ensuite qu’arrivée à l’heure des bilans, il m’incombait sans doute d’établir une sorte d’historique de notre section du Hainaut…

Je vous dirai donc qu’en 1985, le mouvement international MUSIQUE ESPERANCE avait une antenne à La Louvière, dirigée par Jean Charlier. Le pianiste argentin Miguel Angel Estrella, président fondateur, venait donner un récital au théâtre communal et, au nom d’un cousinage idéologique avec AMNESTY INTERNATIONAL, Jean Charlier demanda à notre groupe 46 de promouvoir la soirée. C’est donc en représentante d’AMNESTY que j’assistai à ce concert.

Immédiatement, je fus séduite par l’idée, développée par Estrella, d’aller partager, faire connaître et apprécier une musique de qualité aux publics les plus défavorisés, socialement et/ou culturellement et qui n’y avait, jusque là, jamais eu accès. Sans attendre, j’adhérai donc au groupe de Jean Charlier.

Comment est né MUSIQUE ESPERANCE SOLIDARITE et qu’elles ont été les principales difficultés auxquelles vous avez dû faire face?

J’étais, avouons-le, pleine d’enthousiasme et d’idées dont celle, entr’autres, d’utiliser la musique à des fins thérapeutiques et de créer des ateliers, mais l’antenne de La Louvière ne me permettait pas vraiment de réaliser tous mes projets. Je décidai donc de créer une autre antenne qui s’appellerait MUSIQUE ESPERANCE MONS. Hector Tricoux qui avait une très grande expérience de gestion d’entreprises de toutes sortes, me guida utilement dans la tâche d’établir de solides statuts et de convoquer des personnes compétentes qui deviendraient, de ce fait, “membres fondateurs”.
Jeanne Amory, qui devait rapidement se révéler indispensable à maints égards, hébergea cette réunion constituante le 14 mai 1987. Notre intitulé a, toutefois, changé au cours des années. Lorsque Jean Charlier souhaita fusionner son antenne avec la notre nous devînmes MUSIQUE ESPERANCE HAINAUT.

Au fil des ans, considérant que nous avions de nombreux membres en Brabant Flamand, à Bruxelles, à Liège, à Paris et même en Espagne et aux Etats-Unis, la connotation “Hainaut” nous parut géographiquement trop restrictive. Elle fut donc abandonnée et remplacée par SOLIDARITE qui, au demeurant, illustre parfaitement nos objectifs.

Quels ont été vos différents rôles au sein de MUSIQUE ESPERANCE?

En mai 1987, les membres fondateurs de notre section me firent l’honneur de m’en confier la présidence. Lors de la création de la fédération nationale MUSIQUE ESPERANCE BELGIQUE FRANCOPHONE en septembre 1987, je fus promue secrétaire. Je le restai jusqu’au 22 mars 1997. Entretemps, j’avais siégé, de mars 1989 à janvier 1993, comme représentante de la Belgique à la FEDERATION INTERNATIONALE DE MUSIQUE ESPERANCE (FIME), ce qui me fit pas mal voyager à l’étranger…

Lors de mes nombreux déplacements, c’est Jeanne Amory qui assurait avec brio le bon fonctionnement de notre section hennuyère mais je sauvegardais toujours quelques moments pour assurer les répétitions et les animations.

Votre carrière de professeur vous a-t-elle aidée dans les multiples activités que vous avez exercées pour MUSIQUE ESPERANCE?

Certainement. Plusieurs de mes collègues à l’Académie de Houdeng avaient accepté de me seconder en jouant lors des nombreuses animations musicales dans les homes pour personnes âgées, hôpitaux et autres lieux et d’y amener également leurs meilleurs élèves, leur donnant ainsi l’occasion de s’aguerrir en jouant en public et, parfois, de roder leur programme d’examen. Grâce à Robert Van Gyseghem je pouvais disposer d’un quatuor de clarinettes/saxophones, Marie-Thérèse Van Mechelen m’amenait une brochette de flûtes traversières et Jean-Noël Delférière se faisait accompagner par de jeunes violonistes très talentueux. J’avais la joie de les accompagner au piano et je ne cache pas ma nostalgie de cette merveilleuse époque qui s’agrémentait, en outre, de nombreux “4 mains” avec Nadine Delsaux, qui n’hésitait pas, en outre, à programmer des œuvres à 2, 3 ou même 4 pianos! C’était assez féérique et très exaltant…

Au sujet de ces “dimanches après-midi musicaux”, c’est-à-dire les “animations”, je voudrais évoquer aussi les interprétations de notre regrettée Bénédicte Alavoine. Son violoncelle, merveilleux substitut de la voix humaine, exprimant tour à tour la gaieté et la joie mais parfois, la qualité d’écoute des personnes visitées permettait d’aborder des œuvres plus profondes. Je n’avais plus alors le sentiment d’ “accompagner” au piano mais, me fondant dans la pensée de l’interprète… oserais-je sans faire sourire, parler d’une fusion d’âmes?
Ces moments étaient assez exceptionnels et des lettres de résidents témoignaient ensuite de l’émotion partagée…

Pour en revenir à l’Académie, c’est aussi Fabienne Dussenwart, une ancienne élève devenue ma collègue, qui fut, durant quelques années, chargée d’animer notre atelier à la prison de Tournai. C’est également à l’Académie que j’ai rencontré Christiane Compère, qui anime actuellement avec succès nos ateliers pour personnes handicapées à Aubechies et à Anderlues, et une autre de mes anciennes élèves, Monique Landrieux, très maternellement et avec beaucoup d’enthousiasme anime nos ateliers pour les bébés en O.N.E. et pour les enfants du Gai Logis à Ecaussinnes.

Vous avez certainement quelques anecdotes en mémoire. Pourriez-vous les faire partager avec nos lecteurs?

Je ne sais que choisir. Il y a tant de souvenirs attendrissants ou émouvants, tant de témoignages de personnes âgées, ravies, et qui garderont longtemps le souvenir d’après-midi d’amitié, de musique et… de rire, – attendrissants souvenirs d’enfants émerveillés d’avoir vu et pu utiliser ludiquement des instruments de musique, – souvenirs de détenus à qui on a pu laisser entrevoir d’autres facettes de l’existence, ouvrir d’autres horizons, parler un autre langage…

Mes anecdotes sont surtout liées aux animations musicales: j’ai dû en accompagner plus ou moins 270!
Je me souviens d’une animation quelque part dans le borinage où, au beau milieu d’une œuvre très sérieuse, le facétieux saxophoniste de service (Robert Van Gyseghem, pour ne pas le nommer) s’est lancé sans crier gare dans les méandres glougloutants d’une valse hésitation… Quelques instants d’une compréhensive panique se sont écoulés avant que je puisse rejoindre mon joyeux farceur dans son escapade imprévue…
J’ai réalisé alors que nous étions le 1er avril! Après ce premier électrochoc musical, ma surprise à été moins grande et mes réflexes plus prompts lorsque le violoniste (Jean-Noël Delférière pour ne pas le nommer) inséra successivement des extraits de la Brabançonne et de l’Internationale dans le Liebesleid de Kreisler…
Bien que le public se soit bien amusé, (les musiciens aussi,) j’ai été, après cela, beaucoup plus attentive aux dates d’animations…

Dans un tout autre genre, une expérience m’a particulièrement marquée: nous avions été mandés pour organiser, au CHENE AUX HAIES à Mons (hôpital psychiâtrique, comme vous le savez), une sorte d’animation itinérante. On ne pouvait “sortir” les malades séjournant en pavillons fermés, c’était donc à nous qu’il incombait de nous déplacer de pavillon en pavillon.
Il était impensable d’utiliser le piano dans tous ces déplacements. Monique de Pryck proposa donc de chanter “a capella” en adaptant ses chants à l’état des patients rencontrés, ce qui fut fait avec succès. A la fin de notre périple, le responsable qui nous “cornaquait” demanda si nous acceptions également d’aller dans le pavillon des très “agitées”.
Très agitées, ces malheureuses l’étaient…
Des infirmières nous accompagnaient également, sans doute pour parer à tout incident.
Le spectacle qui nous attendait était très impressionnant: des malheureuses démentes hurlant, s’invectivant… Sans se laisser impressionner. Monique traversa toute la salle lentement, ne donnant apparemment aucune attention à ce tohu-bohu infernal et en chantant une mélopée dans une tessiture assez aigüe en “pianissimo”. C’était une musique éthérée, impalpable qui semblait descendre des nues…

Intriguées, les malades ont écouté et progressivement, le silence se fit! Monique alors se mit à parler. Elle invita ses “auditrices” à chanter avec elle, des chansons de leur choix.
L’une d’elles voulut chanter “Le temps des cerises” et le fit sans omettre un seul couplet, à l’ébahissement des infirmières. L’une d’elles me dit: “C’est à n’y rien comprendre, cette patiente ne parle jamais et a perdu la notion de sa propre identité. Elle ne reconnaît même plus son mari ni ses enfants!”

Le petit miracle de Monique et de sa musique avait permis à cette personne de retrouver des souvenirs profondément enfouis et de revenir un peu parmi nous. J’avoue avoir été très marquée par cette visite.

Après une aussi longue présidence et avec une aussi longue expérience, pourriez-vous donner 3 conseils à votre successeur?

3 conseils seraient inutile. Pol Fosset est un homme très consciencieux et sérieux. Si je l’ai recruté afin qu’il me succède c’est la preuve de ma pleine confiance en lui.
Je ne me permettrai donc qu’une recommandation : si l’on veut conserver notre section aussi structurée et solide, il importe de garder toujours une certaine rigueur et ne jamais céder à la facilité, ce qui implique, évidemment des contraintes. Le laxisme a entraîné souvent bien des naufrages… Nous avons la chance, en Hainaut, de pouvoir nous appuyer sur des statuts en béton armé (oeuvre de H. Tricoux). Dans les premières années de ma propre présidence, ces statuts me servaient de bréviaire… Je crois que le résultat, 23 ans plus tard, ne leur a jamais donné tort.

Il est agréable et immédiatement gratifiant d’enjoliver et de fleurir une façade mais il ne faut jamais permettre que la base de l’édifice soit fragilisée…

Je lui recommanderai également de toujours préserver cette atmosphère de profonde amitié qui règne parmi tous les intervenants de cette section : il est important de pouvoir travailler dans la confiance et une fraternelle affection.

Quel bilan établiriez-vous des activités de MUSIQUE ESPERANCE SOLIDARITE?

J’ai eu, au départ, la chance d’être “initiée” par Hector Tricoux et Georges-Marie Vandermeir à une tâche qui, au départ, m’était tout à fait étrangère. Ils m’ont, en quelque sorte, prise sous leur aile et si cette initiation se fit parfois à grands renforts d’invectives (qui aime bien châtie bien) même leurs engueulades m’étaient sécurisantes. Je suis très reconnaissante à ces 2 précieux amis de m’avoir inculqué ces règles indispensables à la bonne gestion de quelqu’entreprise que ce soit.

Maintenant, si, personnellement, j’en suis à l’époque des bilans, il n’en est pas de même pour notre section qui a, je l’espère, encore beaucoup d’années de fonctionnement en perspective.

La section est florissante, gérée par un président et des administrateurs dévoués et compétents, toutes les conditions sont réunies pour lui assurer des lendemains qui chantent.

C’est là mon souhait le plus ardent.

Propos recueillis par Agnès Schrevens