Pourquoi la musique est bonne pour le cerveau -- Gwendoline Dos Santos
Aussi universelle que le langage, présente depuis la nuit des temps, la musique développe nos capacités intellectuelles et aide à lutter contre Alzheimer.
La musique ne nous protège ni du froid, ni de la chaleur, ni du vent, ni du soleil, pas même des prédateurs ou des microbes. Impossible de la manger ou de la boire. Quant à l’idée de s’accoupler avec elle, peine perdue. De prime abord, difficile de comprendre ce qu’elle nous apporte d’un point de vue évolutif, rien en tout cas qui semble assurer la survie de l’espèce humaine. Et pourtant, elle est aussi universelle que le langage, présente dans toutes les sociétés depuis la nuit des temps. Les premiers instruments de musique découverts par les archéologues, des flûtes taillées dans des os d’animaux, ont 35 000, voire 40 000 ans. Les airs fredonnés ne laissant pas de fossiles, le chant a dû apparaître bien avant cette époque préhistorique. Que fait donc la musique à notre cerveau pour lui plaire autant ?
Tout le monde a déjà vibré sur un air de la Callas ou sur “Don’t Stop Me Now”, de Queen. Il suffit de voir dans quelle transe entre Alex DeLarge, le sociopathe ultraviolent d'”Orange mécanique”, de Stanley Kubrick, dès les premières notes de la 9e symphonie de Beethoven. L’écoute de la musique peut engendrer une légère sudation et une modification des rythmes respiratoire et cardiaque, un phénomène physiologiquement comparable à l’orgasme. Tout comme la nourriture, le sexe ou les drogues, la musique sollicite le circuit de la récompense dans le cerveau de l’auditeur. Ce vieux système mis en place par la sélection naturelle pour favoriser la satisfaction de nos besoins fondamentaux augmente la libération de dopamine, le neurotransmetteur du plaisir, responsable de ce “frisson musical”. C’est ce qu’a révélé, en 2011, une équipe canadienne de l’université McGill dans la revue Nature Neuroscience en utilisant des techniques d’imagerie cérébrale (IRM et TEP). Voilà ce qui nous incite à renouveler l’expérience, la musique pouvant engendrer une certaine addiction… parfaitement inoffensive. Outre qu’elle ne se contente pas de provoquer un raz de marée émotionnel, elle laisse dans nos cerveaux des traces durables, que l’on soit musicien ou simple auditeur.
Un cerveau sous l’influence de la musique
Hervé Platel, dont les travaux sont mondialement connus, est l’un des premiers chercheurs, dans les années 90, à avoir observé le cerveau sous l’influence de la musique grâce à l’imagerie par résonance magnétique. Avec son équipe, ce professeur de neuropsychologie de l’Inserm, exerçant à l’université de Caen, a réussi à mettre en évidence les réseaux du cerveau impliqués dans la perception et la mémoire musicales. Jusque-là, on pensait que les deux hémisphères du cerveau jouaient un rôle complémentaire, le gauche intervenant dans la logique et le langage, le droit dans la partie artistique. “Or la musique engage le cerveau dans sa globalité, elle le sollicite dans des zones qui ont des fonctions beaucoup plus larges”, explique le chercheur. Ecouter une oeuvre musicale crée dans le cerveau une véritable “symphonie neuronale” mettant en jeu les quatre lobes cérébraux, le cervelet ou encore l’hippocampe, surtout connu pour son rôle dans la mémoire. C’est d’ailleurs dans l’hippocampe qu’avec son équipe Hervé Platel a découvert, en 2010, qu’il y a plus d’activité cérébrale chez les musiciens que chez les non-musiciens et que la quantité de neurones augmente en fonction du nombre d’années de pratique et de l’intensité de cette dernière. C’est que notre cerveau est plastique.
Au fur et à mesure qu’on apprend à jongler ou à parler le russe, l’apprentissage développe des zones du cerveau – c’est l’une des propriétés fondamentales de ce dernier. En fonction des exercices qu’il pratique et des stimulations qu’il reçoit, il crée de nouveaux neurones (la neurogenèse), mais surtout multiplie les connexions (les synapses) pour optimiser ses performances : c’est la fameuse plasticité cérébrale.
Il en va de même quand on s’initie à la musique. Même s’il apprend très tard à jouer d’un instrument, le cerveau se modifie : la musique le “muscle” et l’enrichit d’une large palette de capacités cognitives. Cet entraînement neuronal bénéficie d’autant plus aux enfants musiciens. “Avant l’adolescence, le cerveau étant encore immature, chaque nouvel apprentissage bouleverse sa structure”, explique Hervé Platel, qui fera partie des quarante experts du cerveau réunis par Le Point à Nice pour la première édition de Neuroplanète.
Les propriétés thérapeutiques de la musique
En dehors des zones de l’audition, la pratique d’un instrument développe les régions traitant les informations motrices – qui ne seront d’ailleurs pas les mêmes chez un pianiste et un violoniste -, mais aussi très largement celles du langage, avec qui elle partage plusieurs aires communes, en plus de la mémoire et du plaisir. L’enfant musicien obtient ainsi de meilleures performances motrices, acquiert un vocabulaire plus large, développe une facilité plus grande à lire, écrire, apprendre des langues étrangères, comprendre les mathématiques, affiner des raisonnements, devenir logique… jusqu’à se montrer meilleur aux tests de QI que ses camarades non-musiciens. La musique rend-elle plus intelligent ? ” Evidemment, ce serait un raccourci ! Mais aller au conservatoire, c’est comme aller deux fois à l’école ! Apprendre le solfège, maîtriser un instrument, s’obliger à se synchroniser avec les autres musiciens sont des activités extrêmement exigeantes qui vont stimuler de nombreuses parties du cerveau, les développer et entraîner quantité de bénéfices dont il gardera trace toute sa vie, même s’il arrête plus tard la musique”, note l’expert.
La musique a non seulement un impact sur le fonctionnement de notre cerveau et nos compétences intellectuelles, mais aussi des propriétés thérapeutiques étonnantes. Les ateliers de musique se multiplient pour aider les malades d’alzheimer, apaiser leur anxiété, améliorer leur humeur. Fait totalement inattendu : “Chez les malades d’alzheimer, la mémoire musicale résiste, même à un stade très sévère. Leur cerveau continue d’encoder des informations”, s’enthousiasme Platel, qui travaille sur les maladies neurodégénératives.
Si on fait écouter des mélodies nouvelles à des personnes présentant des amnésies majeures, elles sont capables, plusieurs mois plus tard, de les fredonner. Leur hippocampe a beau être dégradé, la mélodie persiste dans leur tête. En fait, la mémoire emprunte un autre chemin, moins vulnérable aux lésions cérébrales. “Nous sommes actuellement en train de lancer une étude qui va permettre d’observer le cerveau de personnes très atteintes pour comprendre le cheminement de cette mémoire inconsciente”, confie le neuropsychologue.
De nouveaux champs thérapeutiques sont découverts en permanence. La musicothérapie trouve sa place dans le traitement du stress, de la douleur, de la dyslexie, entre dans les services de psychiatrie… Parfois, elle semble agir miraculeusement. L’apprentissage du piano aide les victimes d’un AVC à retrouver leurs capacités motrices, le chant, la parole. Une musique au rythme adapté assure et uniformise la marche des patients ayant une activité motrice désordonnée pour cause de maladie de Parkinson. “La musique adoucit les moeurs”, dit le proverbe. Preuve est faite par les neurosciences. Musique, maestro !
Gwendoline Dos Santos
La musique ne nous protège ni du froid, ni de la chaleur, ni du vent, ni du soleil, pas même des prédateurs ou des microbes. Impossible de la manger ou de la boire. Quant à l’idée de s’accoupler avec elle, peine perdue. De prime abord, difficile de comprendre ce qu’elle nous apporte d’un point de vue évolutif, rien en tout cas qui semble assurer la survie de l’espèce humaine. Et pourtant, elle est aussi universelle que le langage, présente dans toutes les sociétés depuis la nuit des temps. Les premiers instruments de musique découverts par les archéologues, des flûtes taillées dans des os d’animaux, ont 35 000, voire 40 000 ans. Les airs fredonnés ne laissant pas de fossiles, le chant a dû apparaître bien avant cette époque préhistorique. Que fait donc la musique à notre cerveau pour lui plaire autant ?
Tout le monde a déjà vibré sur un air de la Callas ou sur “Don’t Stop Me Now”, de Queen. Il suffit de voir dans quelle transe entre Alex DeLarge, le sociopathe ultraviolent d'”Orange mécanique”, de Stanley Kubrick, dès les premières notes de la 9e symphonie de Beethoven. L’écoute de la musique peut engendrer une légère sudation et une modification des rythmes respiratoire et cardiaque, un phénomène physiologiquement comparable à l’orgasme. Tout comme la nourriture, le sexe ou les drogues, la musique sollicite le circuit de la récompense dans le cerveau de l’auditeur. Ce vieux système mis en place par la sélection naturelle pour favoriser la satisfaction de nos besoins fondamentaux augmente la libération de dopamine, le neurotransmetteur du plaisir, responsable de ce “frisson musical”. C’est ce qu’a révélé, en 2011, une équipe canadienne de l’université McGill dans la revue Nature Neuroscience en utilisant des techniques d’imagerie cérébrale (IRM et TEP). Voilà ce qui nous incite à renouveler l’expérience, la musique pouvant engendrer une certaine addiction… parfaitement inoffensive. Outre qu’elle ne se contente pas de provoquer un raz de marée émotionnel, elle laisse dans nos cerveaux des traces durables, que l’on soit musicien ou simple auditeur.
Un cerveau sous l’influence de la musique
Hervé Platel, dont les travaux sont mondialement connus, est l’un des premiers chercheurs, dans les années 90, à avoir observé le cerveau sous l’influence de la musique grâce à l’imagerie par résonance magnétique. Avec son équipe, ce professeur de neuropsychologie de l’Inserm, exerçant à l’université de Caen, a réussi à mettre en évidence les réseaux du cerveau impliqués dans la perception et la mémoire musicales. Jusque-là, on pensait que les deux hémisphères du cerveau jouaient un rôle complémentaire, le gauche intervenant dans la logique et le langage, le droit dans la partie artistique. “Or la musique engage le cerveau dans sa globalité, elle le sollicite dans des zones qui ont des fonctions beaucoup plus larges”, explique le chercheur. Ecouter une oeuvre musicale crée dans le cerveau une véritable “symphonie neuronale” mettant en jeu les quatre lobes cérébraux, le cervelet ou encore l’hippocampe, surtout connu pour son rôle dans la mémoire. C’est d’ailleurs dans l’hippocampe qu’avec son équipe Hervé Platel a découvert, en 2010, qu’il y a plus d’activité cérébrale chez les musiciens que chez les non-musiciens et que la quantité de neurones augmente en fonction du nombre d’années de pratique et de l’intensité de cette dernière. C’est que notre cerveau est plastique.
Au fur et à mesure qu’on apprend à jongler ou à parler le russe, l’apprentissage développe des zones du cerveau – c’est l’une des propriétés fondamentales de ce dernier. En fonction des exercices qu’il pratique et des stimulations qu’il reçoit, il crée de nouveaux neurones (la neurogenèse), mais surtout multiplie les connexions (les synapses) pour optimiser ses performances : c’est la fameuse plasticité cérébrale.
Il en va de même quand on s’initie à la musique. Même s’il apprend très tard à jouer d’un instrument, le cerveau se modifie : la musique le “muscle” et l’enrichit d’une large palette de capacités cognitives. Cet entraînement neuronal bénéficie d’autant plus aux enfants musiciens. “Avant l’adolescence, le cerveau étant encore immature, chaque nouvel apprentissage bouleverse sa structure”, explique Hervé Platel, qui fera partie des quarante experts du cerveau réunis par Le Point à Nice pour la première édition de Neuroplanète.
Les propriétés thérapeutiques de la musique
En dehors des zones de l’audition, la pratique d’un instrument développe les régions traitant les informations motrices – qui ne seront d’ailleurs pas les mêmes chez un pianiste et un violoniste -, mais aussi très largement celles du langage, avec qui elle partage plusieurs aires communes, en plus de la mémoire et du plaisir. L’enfant musicien obtient ainsi de meilleures performances motrices, acquiert un vocabulaire plus large, développe une facilité plus grande à lire, écrire, apprendre des langues étrangères, comprendre les mathématiques, affiner des raisonnements, devenir logique… jusqu’à se montrer meilleur aux tests de QI que ses camarades non-musiciens. La musique rend-elle plus intelligent ? ” Evidemment, ce serait un raccourci ! Mais aller au conservatoire, c’est comme aller deux fois à l’école ! Apprendre le solfège, maîtriser un instrument, s’obliger à se synchroniser avec les autres musiciens sont des activités extrêmement exigeantes qui vont stimuler de nombreuses parties du cerveau, les développer et entraîner quantité de bénéfices dont il gardera trace toute sa vie, même s’il arrête plus tard la musique”, note l’expert.
La musique a non seulement un impact sur le fonctionnement de notre cerveau et nos compétences intellectuelles, mais aussi des propriétés thérapeutiques étonnantes. Les ateliers de musique se multiplient pour aider les malades d’alzheimer, apaiser leur anxiété, améliorer leur humeur. Fait totalement inattendu : “Chez les malades d’alzheimer, la mémoire musicale résiste, même à un stade très sévère. Leur cerveau continue d’encoder des informations”, s’enthousiasme Platel, qui travaille sur les maladies neurodégénératives.
Si on fait écouter des mélodies nouvelles à des personnes présentant des amnésies majeures, elles sont capables, plusieurs mois plus tard, de les fredonner. Leur hippocampe a beau être dégradé, la mélodie persiste dans leur tête. En fait, la mémoire emprunte un autre chemin, moins vulnérable aux lésions cérébrales. “Nous sommes actuellement en train de lancer une étude qui va permettre d’observer le cerveau de personnes très atteintes pour comprendre le cheminement de cette mémoire inconsciente”, confie le neuropsychologue.
De nouveaux champs thérapeutiques sont découverts en permanence. La musicothérapie trouve sa place dans le traitement du stress, de la douleur, de la dyslexie, entre dans les services de psychiatrie… Parfois, elle semble agir miraculeusement. L’apprentissage du piano aide les victimes d’un AVC à retrouver leurs capacités motrices, le chant, la parole. Une musique au rythme adapté assure et uniformise la marche des patients ayant une activité motrice désordonnée pour cause de maladie de Parkinson. “La musique adoucit les moeurs”, dit le proverbe. Preuve est faite par les neurosciences. Musique, maestro !
Gwendoline Dos Santos