Un Précurseur -- Edith LOUTHE
Parodiant une chanson connue, je vous parle d’un temps que les moins de… 60 ans, ne peuvent pas connaître.
L’Europe en ce temps là était à l’aube d’un cataclysme resté tristement dans les mémoires : « la seconde guerre mondiale ».
Appelés sous les drapeaux, selon la formule consacrée, nos vaillants soldats étaient partis, confiants, pour nous assurer des lendemains chantants. Afin de mettre à l’abri nos garçons trop jeunes pour être enrôlés, le Gouvernement décréta leur évacuation… avant de fuir à son tour.
Voilà donc tous ces gamins, de 16 à 19 ans je crois, partis sur les routes de France…
Si, pour eux, l’aventure commença telle une randonnée de joyeux boy-scouts, son épilogue fut lamentable. La totale désorganisation qui résulta de l’invasion foudroyante d’une nuée de sauterelles grises en mai et juin 1940 (la « blitz krieg »)… et l’effondrement de l’état belge et de l’état français qui s’ensuivit, amenèrent nos garçons à connaître l’abandon, la famine, les puces… et les corollaires de ces joyeusetés: le découragement, le cafard, le désespoir…
Livrés à eux-mêmes, sans argent, sans ravitaillement, sans moyen de communication et incapables de regagner leur pays déjà occupé par les Allemands, ils se trouvaient perdus parmi des autochtones rendus hostiles par l’annonce de la récente capitulation des troupes belges et pour lesquels ils étaient devenus « les boches du Nord… » (sic)
Leur rapatriement ne fut rendu possible qu’après beaucoup de démarches auprès des autorités d’occupation.
Avec beaucoup d’autres, mes frères aînés furent les victimes de cette triste et cafardeuse randonnée. Dès leur retour au bercail, j’écoutais le récit de leurs mésaventures avec toute l’attention que peut y apporter une petite fille impressionnable et toujours solidaire de ce que contaient « les grands ».
Et l’un des deux contait une bien jolie et touchante histoire.
Il parlait d’un de ses compagnons, musicien, un garçon « formidable », qui n’accordait vraiment d’importance qu’au violon dont il ne se séparait jamais et qu’il portait comme le Saint-Graal. Dans cette merveilleuse histoire, Georges (c’était son nom), apparaissait comme une sorte d’Orphée moderne, qui mettait tout son art à distraire, consoler et encourager les autres. Il ne se faisait jamais prier: « Joue, Georges »… et il jouait. Depuis des chaconnes de Bach jusqu’aux dernières rengaines à la mode en passant par de nombreux concerti, il jouait pour des garçon dont la culture musicale n’était pas toujours très étendue…
Qu’importe, de tout son coeur et oubliant ses propres misères, il s’ingéniait à trouver le style de musique qui aiderait, qui apaiserait, qui ramènerait du courage en occultant un peu un présent trop angoissant…
Il partageait la musique en ne dédaignant pas une forme parfois moins accomplie mais davantage à la portée d’auditeurs peu avertis.
En un mot, il appliquait, avec une quarantaine d’années d’avance, les principes de base de MUSIQUE ESPERANCE! Qui s’étonnera de ce qu’une petite fille impressionnable fut indélébilement marquée par cette image pleine de chaleur humaine!
Au fait, j’ai oublié de préciser: ce garçon généreux qui, avec l’intelligence du coeur, mettait la musique au service de tous, ce « Georges » est devenu ensuite une sommité du monde musical belge.
N’était-il pas normal qu’il devint le président national de notre association après en avoir été un tel précurseur?
Merci de nous faire ce grand honneur, Maître Georges Octors.
Edith LOUTHE